Pendant plusieurs décennies, les rayons de nos salles de bain ont été envahis par les gels douche, les mousses nettoyantes, les huiles lavantes, les flacons pompe et les textures industrielles. Le savon, solide et discret, semblait relégué au rang d’objet d’un autre temps, associé à l’enfance, aux grands-parents, à une routine dépassée. Pourtant, il revient. Lentement, durablement, et de plus en plus visiblement.
À travers ce retour, c’est tout un rapport au soin, à l’objet et à la consommation qui évolue. Le savon n’est plus seulement un produit lavant : il est redevenu un geste réfléchi, presque manifeste.
Un objet ancien, longtemps délaissé
Le savon solide a traversé les siècles. Utilisé dans la Rome antique, mentionné dans les traités médicaux arabes, fabriqué artisanalement en Méditerranée depuis le Moyen Âge, il a longtemps fait partie des gestes du quotidien. Jusqu’à ce qu’il soit progressivement éclipsé, au cours du XXe siècle, par une cosmétique plus lisse, plus marketing, plus chimique.
Dans les années 1980, le gel douche s’est imposé comme le symbole du confort moderne : facile à doser, coloré, parfumé, emballé. Le savon, lui, était devenu désuet. Trop simple. Trop rustique.
Le retour à un soin plus simple
Mais les habitudes changent. À mesure que les préoccupations écologiques et sanitaires gagnent du terrain, les consommateurs se questionnent : faut-il vraiment une liste d’ingrédients longue comme le flacon pour simplement se laver ?
Le savon solide offre une réponse directe. Il lave, mousse, dure longtemps. Il ne nécessite pas forcément de plastique, se transporte facilement, ne déborde pas dans la trousse de toilette. Il est souvent moins transformé, plus respectueux de la peau, plus lisible dans sa composition.
Une transition vers plus de conscience
Se laver n’est plus un geste automatique. C’est devenu, pour beaucoup, un acte quotidien qui doit avoir du sens : pour soi, pour sa santé, pour l’environnement. Dans cette logique, le savon solide se glisse naturellement dans une salle de bain plus épurée, plus durable.
Un savoir-faire qui renaît
Ce retour du savon s’accompagne d’un regain d’intérêt pour sa fabrication. Finis les pains industriels pressés à chaud et parfumés artificiellement : on redécouvre les méthodes lentes, les huiles végétales de qualité, la saponification à froid.
Partout en France, des artisans reprennent le flambeau de ce savoir-faire ancien, en travaillant avec des ingrédients bruts, locaux, et en limitant les déchets. On voit ainsi se multiplier les ateliers à taille humaine, les recettes courtes, les textures douces et les produits qui respectent à la fois la peau et l’environnement.
On parle alors de savonnerie artisanale, comme on parlerait de boulangerie ou de poterie : un lieu où l’on transforme avec soin, où chaque geste compte, où la production reste lisible, humaine, ancrée dans une éthique.
Un objet sensoriel, quotidien, durable
Le savon, c’est aussi un objet de sensations. Sa texture dans la main, son odeur subtile ou franche, sa capacité à évoquer des souvenirs précis : une salle d’eau familiale, des vacances en gîte, un tiroir en bois qui sent le propre.
Contrairement au gel douche uniformisé, le savon varie. Il peut être marbré, brut, rond, rectangulaire, irrégulier. Chaque pièce est un peu différente. Cette imperfection apparente contribue à son charme et à sa sincérité.
Il dure longtemps, s’use lentement, accompagne plusieurs semaines de notre vie. On apprend à le poser, le sécher, le conserver. Bref, on prend soin de lui autant qu’il prend soin de nous.
Un geste d’avenir ?
Ce retour du savon dans nos salles de bain ne relève pas d’un effet de mode. Il s’inscrit dans un mouvement de fond : ralentir, choisir mieux, consommer moins mais mieux, retrouver une relation directe avec les objets utiles.
Le savon en est un. Et sa présence renouvelée dans nos routines quotidiennes n’a rien de nostalgique. Elle dit quelque chose de notre époque, de nos priorités. Elle montre qu’un produit simple, bien conçu, peut répondre à des attentes profondes.
Et c’est peut-être ça, le vrai luxe aujourd’hui : du temps, du soin, de la cohérence.